1.5.1 - Un outil d'évaluation : le tableau de bord
L’objet d’un tableau de bord* est de mesurer un écart entre une situation réelle observée et une situation souhaitée.
C’est un outil au service de la gestion qui offre au gestionnaire une vue synthétique de la situation et des tendances observées sur le terrain. Il sert à rapporter les résultats (outil d’évaluation) et adapter la gestion si besoin (outil de pilotage). Un tableau de bord doit nécessairement être simple tout en étant explicite et rigoureux.
Dans le cadre du réseau Natura 2000, l’outil SIN2 a été développé pour suivre la mise en œuvre du document d’objectifs (cf. lien ci-dessous). Il constitue un premier niveau de « tableau de bord » pour l’animation du site, qui pourra être complété autant que de besoin en fonction de chaque site et sur la base des recommandations ci-dessous.
Tableau de bord et plan de gestion : comment ils s’articulent ?
Le tableau de bord est étroitement lié au plan de gestion et sa construction va nécessairement s’appuyer sur chacune des étapes du cycle de gestion qui vont aboutir à la formalisation des cibles à atteindre à long et moyen terme. Les indicateurs du tableau de bord mesureront de manière séquencée l’atteinte de ces différentes cibles à travers trois questions évaluatives.
- Est-ce que je progresse vers les objectifs à long terme et l’état souhaité pour l’enjeu ?
- Est-ce que j’ai atteint les objectifs opérationnels et agi efficacement sur les pressions ?
- Est-ce que j’ai mis en œuvre l’intégralité des actions prévues ? Ai-je obtenu les réponses escomptées ?
Le jeu d’indicateurs du tableau de bord sera utilisé lors de l’étape 5 du cycle de gestion (Les résultats de la gestion) pour permettre au gestionnaire de mesurer la situation actuelle de l’ENP et l’écart (éventuel) à la cible fixée.
Quel jeu d’indicateurs pour un tableau de bord d’ENP ?
Un indicateur est une quantité mesurable directement ou calculable indirectement à partir des données relevées sur le terrain à l’aide d’un protocole.
Le modèle PER est utilisé pour les travaux du Groupe sur l'Etat de l'Environnement de l'OCDE [OCDE 93], et le Ministère de l'Environnement s'est basé sur ce modèle pour construire le tronc commun des descripteurs régionaux de l'environnement [MIN.ENV 94]. |
A minima le jeu d’indicateurs à utiliser dans le cadre du tableau de bord d’un ENP correspond au modèle PER qui se base sur 3 catégories d’indicateurs (Pression-Etat-Réponse).
PLAN DE GESTION | TABLEAU DE BORD | |
Question évaluative | Jeu d’indicateurs | |
OLT | Est-ce que je progresse vers l’OLT ? |
Indicateurs d’ETAT (E) de l’enjeu
Ils traduisent l’état de l’enjeu à un instant donné (ex : Etat de conservation du récif corallien)
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OO | Est-ce que je progresse vers l’objectif opérationnel ? |
Indicateurs de PRESSION (P) sur l’enjeu Ils sont le reflet des pressions directes ou indirectes excercées sur le milieu naturel qui provoquent des changements sur l’état de l’enjeux (ex : l’ancrage des bateaux de plongée sur le récif entraine sa dégradation) |
ACTIONS |
Est-ce que j’ai mis en œuvre l’intégralité des actions ? Ont-elles donné les réponses escomptées ? |
Indicateurs de REPONSE (R) / REALISATION DE GESTION Ils traduisent les efforts mis en œuvre pour agir sur les pressions (ex : signature de chartes de bonne conduite par les clubs de plongée, installation de mouillage organisé…) |
Il existe un autre modèle plus complet d’indicateurs, le modèle DPSIR pouvant être également utilisé.
Exemple Enjeu : les oiseaux en hivernage et en halte migratoire
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Afin de proposer une approche standardisée sur l'ensemble du territoire concernant l’état de conservation des habitats et des espèces à l’échelle d’un site, le Muséum national d’histoire naturelle a développé un ensemble de méthodologies et d’indicateurs qui pourront participer de la conception du tableau de bord d’un site Natura 2000.
Comment se compose un indicateur du tableau de bord ?
Chaque indicateur correspond à la combinaison d’une ou de plusieurs métriques* issues des données brutes relevées sur le terrain. L’ensemble des métriques associées à une grille de lecture (avec seuils*) compose l’indicateur.
Les métriques sont alimentées à partir des données de terrain recueillies par le biais de protocoles rigoureux (suivis scientifiques, études de fréquentation…). Les dispositifs de suivi alimentant les indicateurs du tableau de bord sont à prioriser et pérenniser dans le plan de gestion (moyens humains et financiers à sécuriser sur le long terme).
L’ensemble des données collectées pour renseigner les indicateurs du tableau de bord seront stockées dans des bases de données interopérables garantissant les échanges, le transfert vers des plateformes de calcul et le partage entre gestionnaires et scientifiques.
Sur qui et sur quoi s’appuyer pour élaborer des indicateurs ?
- Le choix des indicateurs doit prioritairement s’appuyer sur l’existant en la matière. La démarche vise également à optimiser l’utilisation des données et suivis existants, trop peu souvent exploités.
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L’expertise scientifique et technique (gestionnaires, professionnels, scientifiques, usagers, services de l’Etat…) sera mobilisée et consultée collégialement pour :
- proposer des indicateurs ou juger de la pertinence de ceux qui seront utilisés dans le tableau de bord ;
- identifier les suivis existants ou élaborer de nouveaux dispositifs de suivi soutenant le renseignement des indicateurs du tableau de bord ;
- définir les grilles de lecture des indicateurs et les seuils associés permettant d’estimer si le niveau atteint à un instant donné doit être considéré comme mauvais, moyen ou bon par rapport au but recherché.
Dans la majorité des cas, la totalité des indicateurs ne peut être construite dès la phase de rédaction du 1er plan de gestion.
La construction des indicateurs peut prendre du temps en fonction des indicateurs existants, à adapter ou à construire. L’élaboration et la finalisation des indicateurs nécessiteront dans la très grande majorité des cas de compléter les connaissances disponibles (manque d’état de référence, protocole non définis, indicateur à développer…).
Le gestionnaire pourra d’ailleurs planifier un certain nombre d’actions les premières années pour finaliser la construction des indicateurs (choix des métriques et des valeurs-seuils) et leur mise en œuvre (échanges avec les partenaires scientifiques, définition de protocoles, test sur le terrain,..).
A noter Les gestionnaires d’AMP pourront être guidés dans leurs choix en consultant le Catalogue national des indicateurs (en cours d’élaboration par l’AFB). L’objectif de cet outil n’est pas de tendre vers un recensement exhaustif mais de cibler les indicateurs pertinents pour évaluer l’efficacité de la gestion en mutualisant les connaissances et les retours d’expériences des gestionnaires d’AMP. Le catalogue propose également des éléments de diagnostic sur la pertinence et l’efficacité des indicateurs recensés. |
Comment choisir les bons indicateurs ?
A qualité égale, la sélection portera préférentiellement sur des indicateurs qui :
- s’intègrent dans les dispositifs de suivi et d’observatoires réalisés à des échelles supérieures (régionale, sous-région, internationale) ;
- reposent sur des dispositifs de suivi existants et harmonisés (protocoles standardisés RNF, DCE, DCSMM, Wetlands…) afin de garantir des comparaisons et une interprétation intersites.
L’ensemble des choix effectués par l’équipe de gestion au cours des différentes étapes d’élaboration du tableau de bord (priorisation des indicateurs, choix des protocoles et dispositifs de suivi, coût de mise en oeuvre) devront être justifiés et consignés autant que possible afin de disposer d’arguments transparents et pertinents.
Vérifier la qualité des indicateurs
Il est nécessaire de trouver un équilibre entre plusieurs critères de qualité d’un bon indicateur.
Qualités intrinsèques / générales | Qualités scientifiques | Qualités statistiques |
Spécifique (doit répondre à une question ciblée) Mesurable (qualitativement ou quantitativement) Réaliste avec les moyens humains et financiers disponibles Reproductible (Applicable à différents contextes, zones géographiques) adaptable aux échelles d’étude Compréhensible / simple |
Solide et scientifiquement fiable (bases conceptuelles solides) Intégrateur (couvre les principaux aspects de la problématique ciblée) Interprétable (associé à une grille de lecture) |
Sensible / prévisible (sensible à tout changement) Robuste (ne pas détecter des changements liés à d'autres facteurs que ceux ciblés) Puissant (capacité à détecter un changement lié à une pression ciblée, qui existe vraiment / sensible à l'effort d'échantillonnage) |
Toutes ces qualités sont rarement réunies. Aussi, la double dimension politique et scientifique associée aux indicateurs implique de réaliser un compromis entre fournir une information simple à un large public et conserver le maximum de rigueur scientifique.
Limiter le nombre d’indicateurs
Alors que l’absence d’indicateurs génèrerait une source d’incertitude pour la prise de décision, leur excès provoquerait le doute sur la conduite à tenir et induirait l’inaction. Pour que le tableau de bord soit vraiment performant et approprié, il est capital de limiter le nombre d’indicateurs.
Ils peuvent être priorisés à partir de deux questions simples traitées avec les acteurs du territoire concerné ( source Espaces naturels n°33, 2011, Dossier "Indicateurs de biodiversité – Pourquoi faire ? Comment faire ?") :
- ces indicateurs permettent-ils d’améliorer la qualité des discussions autour de certaines thématiques clés ?
- Existe-t-il des données pour renseigner ces indicateurs et, sinon, est-il facile de collecter les données nécessaires ?
Comment communiquer et faire vivre le tableau de bord ?
Les indicateurs du tableau de bord permettent au gestionnaire d’être en capacité d’évaluer les résultats obtenus à plusieurs échelles de temps :
- régulièrement pour sensibiliser et informer l’organe de gouvernance et les financeurs des actions réalisées, des difficultés rencontrées et des premiers résultats observés ;
- à 3-5 ans au terme d’un plan d’action ou du plan de gestion (selon le type d’espace concerné) pour rendre compte des actions menées et de l’atteinte des objectifs opérationnels ;
- à 10-15 ans pour évaluer l’atteinte des objectifs à long terme fixés avant une nouvelle actualisation du diagnostic (responsabilités et enjeux du site).
(Source : RNF)
Pour partager les résultats de la gestion auprès des organes de gouvernance et des acteurs du territoire, il est important de communiquer de manière synthétique et visuelle.
La représentation des indicateurs du tableau de bord pourra prendre plusieurs formes selon les cibles visées (tutelle, partenaires, scientifiques, élus, instances locales, grand public) : graphiques (type radar, histogramme…) ou pictogrammes.
Les représentations synthétiques et visuelles des indicateurs compléteront utilement les bilans d’activité de gestion.
Certains ENP ont développé un livret grand public du tableau de bord offrant une interface de lecture pédagogique de l’état des enjeux de l’ENP et des indicateurs grâce à l’utilisation de fresques, de pictogrammes et de textes vulgarisés.
Exemple |
Mettre en place et faire vivre un tableau de bord d’ENP implique un investissement continu et collectif de l’équipe de gestion qui doit s’inscrire dans la durée, une fois le plan de gestion adopté.
Les premiers retours d’expériences (RNN, PNM) pointent la nécessité de mener un travail pédagogique et de sensibilisation continu concernant la démarche de tableau de bord tant auprès des chargés de mission des ENP que des différentes instances (gouvernance, scientifique, service de l’état et partenaires).
Tableau de bord et Liste verte (UICN) Un système de certification international de la qualité de la gestion et de gouvernance des aires protégées a été mis en place par l’UICN en 2014 (Zoom pratique - Liste verte des aires protégées de l'UICN). Il s’agit de la Liste verte des aires protégées qui a pour finalité de faire progresser la qualité de gestion et de gouvernance de l’ensemble des aires protégée à l’échelle mondiale, en valorisant les sites et les pratiques exemplaires. Cette initiative promeut une approche positive de la conservation, et vise à reconnaître, encourager et valoriser les succès obtenus par les gestionnaires d’aires protégées. Lancée officiellement en 2014 à l’occasion du Congrès mondial des parcs, elle est appelée à devenir une référence mondiale pour l’ensemble de la communauté de la conservation de la nature. L’UICN engage les gestionnaires qui le souhaitent dans un processus d’évaluation de la gestion, sur la base de critères et d’indicateurs rigoureux. L’un des 4 piliers de cette démarche d’évaluation repose sur la capacité du gestionnaire à avoir :
Ainsi la démarche de tableau de bord fait partie des critères UICN qui visent à récompenser les sites bien gérés en leur offrant le nouveau label Liste Verte. |