3.4 - Savoir animer
ZOOM PRATIQUE
Cette fiche est essentiellement construite à partir du chapitre « Dialogue pour Natura 2000 » du Cahier technique n°82, Guide méthodologique d'élaboration des documents d'objectifs Natura 2000, Aten, 2011 avec la participation de R Douillet / Geyser, amendé et modifié afin de l’adapter à la généralité des espaces naturels protégés. |
De l’information à la construction de l’accord
Le chargé de mission est la cheville ouvrière du dialogue pour l’élaboration du plan de gestion. Il le prépare, le construit et en reste très souvent le principal animateur. Pour mener à bien cette fonction d’animation et réussir sa mission, il doit s’investir dans des étapes clés, indépendamment des étapes décisionnelles.
Récupérer et transmettre les informations nécessaires
Réunions d’information, groupes de travail, comité de pilotage, etc., le chargé de mission doit commencer par un apport de connaissances sur lesquelles viendront s’appuyer les discussions et les réflexions. Ces informations préalables peuvent être énoncées par lui-même, ou par l’un ou l’autre des participants considérés comme légitimes. Ces informations doivent être crédibles et acceptées par tous. Pour cela, elles doivent être :
- transparentes dans leurs sources et leur contenu ;
- établies à partir de données objectives : études scientifiques, faits relatés, etc. ;
- mises à la discussion et à l’approfondissement en cas de doute ou de désaccord.
L’insuffisance d’informations préalables, ou le manque d’adhésion, pénalise le dialogue à venir. L’ensemble de ces informations doit être mis à la disposition de tous, par exemple via une plateforme accessible en ligne.
Bien identifier les points du débat
Rien ne sert de passer des heures à discuter de sujets secondaires, ou pire hors de propos, malgré leur importance générale. On n'y gagnera que découragement puis absentéisme.
Pour éviter ce piège de l’inefficacité, le chargé de mission doit se concentrer sur les points prioritaires du débat. Pour cela :
- avant les réunions, il repère lui-même les sujets pertinents et les soumet le cas échéant à son entourage professionnel
- il les annonce aux participants en début de réunion, mais il reste prêt à les modifier ou à les enrichir si ceux-ci en font la demande.
De l’expression des positions à celle des besoins
Il arrive parfois que des discussions s’enveniment ou ne débouchent pas : chacun reste sur ses positions, le dialogue est bloqué (exemple : la ré-ouverture de tel espace embroussaillé est souhaitée par l'un, l’autre au contraire veut pérenniser sa fermeture).
Sitôt qu'il en a pris conscience, l'animateur doit rapidement tenter de franchir le point de blocage. Il doit inviter les uns et les autres à dépasser la seule expression de leurs positions (ex : l’ouverture de l’espace est préférable à la fermeture et vice versa) pour tendre progressivement à dialoguer sur le registre des besoins (exprimés fréquemment sous forme de craintes et d’attentes) des uns et des autres. Car c’est au niveau des besoins qu’il est possible d’atteindre un terrain d’entente : le premier pourra alors exprimer son désir de nouvelles pâtures, le second sa crainte de ne plus voir courir le gros gibier.
(Source Geyser, 2008)
La reconnaissance mutuelle des besoins
La moitié du chemin est parcourue quand on est passé du registre des positions à celui des besoins. Reste à travailler à la reconnaissance mutuelle de ces besoins : faire en sorte que chaque partie considère comme légitime les besoins, les attentes et les craintes des autres parties. Chacune des parties peut alors analyser le problème dans sa globalité. Ses propres besoins ont été entendus et reconnus comme légitimes, et elle reconnaît les besoins des autres comme légitimes. Le dialogue a avancé et l’accord est plus proche. Le passage des positions aux besoins et leurs reconnaissances mutuelles sont les deux étapes fondamentales dans le cheminement d’une médiation de projets comme de conflits.
La créativité pour l’émergence des solutions
Une fois qu'ils sont repérés et acceptés par les parties, il faut chercher collectivement à répondre aux besoins, craintes et attentes. Il faut donc trouver les solutions adéquates. Pour cela, il est important de passer par une phase de créativité pendant laquelle toutes les propositions sont permises, sans restriction concernant leur efficacité ou faisabilité. Chacun peut énoncer toutes les pistes, des plus farfelues aux plus sérieuses, et le chargé de mission doit être le moteur de cette dynamique de créativité.
La phase de créativité débouche sur :
- un champ de solutions, souvent innovantes et adaptées ;
- le resserrement des liens entre les acteurs du dialogue.
Le choix des solutions
Reste maintenant à choisir les solutions les plus pertinentes. Des critères de choix doivent être définis collectivement dans :
- le domaine technique : la solution proposée est-elle techniquement réalisable ?
- le domaine financier : la solution proposée est-elle financièrement possible ?
- le domaine social : la solution proposée est-elle acceptable par tous ?
Aucun de ces trois domaines ne doit être négligé au bénéfice des deux autres, pour atteindre l’acceptabilité, par tous, des solutions proposées
Animation des réunions : où être vigilant ?
Le choix des dates, horaires et lieux
Il est important de réfléchir aux dates, horaires et lieux les plus opportuns en fonction des participants. Le chargé de mission doit être au service des participants, rester disponible pour se déplacer et accepter des horaires qu’il peut parfois juger contraignants. Cet engagement entraînera la présence et l’assiduité des participants. Dans les sites de grande surface, on peut penser à programmer les réunions de façon tournante, dans des lieux différents, de manière à répartir l’effort de déplacement pour améliorer la participation.
S’appuyer sur des documents lisibles et pertinents
L’ensemble des documents mis à disposition des participants doit être préparé avec soin, être lisible et de format suffisamment court pour avoir des chances d’être lu avant la réunion.
Les documents produits collectivement lors des réunions, et les compte rendus, doivent être synthétiques et rédigés de façon simple et lisible.
A chacun son rôle dans le déroulement de la réunion
Une réunion qui se déroule bien est une réunion où chacun a trouvé sa place. Les trois fonctions principales : animation, secrétariat, production ou expertise, doivent être clairement identifiées et attribuées séparément, et ce d'autant plus si la réunion risque d’être conflictuelle. La fonction d’animation (souvent attribuée au chargé de mission) n’a qu’un objectif : faire en sorte que le dialogue s’instaure et se déroule convenablement. Il pilote la réunion, distribue la parole entre les différents intervenants et les participants, s’assure de la compréhension de chacun, reformule, synthétise, propose de valider les conclusions, etc.
D’autres personnes sont chargées de porter à connaissance les éléments nécessaires aux prises de décisions : techniciens de l’administration ou de chambres consulaires, acteurs locaux compétents dans leurs domaines d’activités, experts extérieurs. Tous sont chargés d’éclairer l’assemblée d'apports techniques, administratifs ou scientifiques. Ils peuvent défendre leurs points de vue s’ils en ressentent le besoin et n’ont pas la même obligation de neutralité que l’animateur.
Une ou deux autres personnes assurent la fonction de secrétariat : leur rôle consiste à écouter, à comprendre et à retranscrire les débats dans un compte rendu. Le rôle du secrétaire est important : c'est la mémoire des débats et des conclusions.
Assumer plusieurs fonctions simultanées est très délicat. Si c'est nécessaire, faute de ressources humaines suffisantes, cela ne doit être qu’exceptionnel, surtout dans le cas de réunions d'importance majeure.
Efficacité et convivialité
L'efficacité
Une réunion dans laquelle le groupe est sollicité, débat et produit les résultats attendus est une réunion efficace et donc réussie : chacun a le sentiment d’avoir participé à une construction collective et aucun ne regrette son déplacement. Pour être efficace, il faut donc :
- se concentrer sur les objectifs de la réunion et éviter les digressions ;
- se limiter à l’ordre du jour tel qu’il a été annoncé (les éventuels points divers seront traités en fin de réunion) ;
- ne pas s’éterniser quand il y a une situation de blocage mais l’accepter et proposer d’autres moments ou d’autres lieux pour reprendre la discussion.
- repérer les avancées progressives et prendre le temps de les faire valider par l’assemblée : trop souvent, les décisions prises ne font pas l’objet d’un accord clairement exprimé par les participants ; savoir conclure avant épuisement : deux heures de réunion, c’est bien ; trois heures, c’est déjà trop.
La convivialité
La convivialité permet d'associer le plaisir à l'efficacité :
- une ambiance détendue dès l’accueil et tout au long de la réunion facilite les échanges, l’animateur doit savoir insuffler la bonne humeur et utiliser l’humour à bon escient ;
- un bon placement des participants dans la salle est important : préparer à l'avance tables, chaises, bancs, etc. et éviter de mettre en face l’un de l’autre deux groupes d’acteurs en opposition ;
- privilégier aussi le placement en rond ou en « U » et supprimer les tribunes trop imposantes, génératrices de complexes d’infériorité ou de supériorité ; en format « groupe de travail » privilégier des tables de 5-6 personnes maximum et le croisement des acteurs dans différentes phases du travail.
- l’écoute et le respect de la parole de l’autre traduisent l’acceptation des différences. L’animateur de la réunion doit rappeler en début de réunion les règles du jeu, qui incluent celles de la courtoisie ;
- le pot de l’amitié en fin de réunion, pourquoi pas ? Ne dit-on pas souvent que c’est à ce moment-là que les choses avancent le plus vite ?
Posture et outils de l’animateur
Sauf exception (l’intervention d’un animateur ou facilitateur dont c’est le métier), c’est le chargé de mission pour la rédaction du plan de gestion qui joue le rôle d’animateur du dialogue.
Poser et défendre sa place et son rôle
Le but est de permettre aux participants de traiter l’ensemble des points à l’ordre du jour. Cela suppose une certaine prise en main, dès le départ et jusqu’à la fin. Il faut pour cela asseoir son autorité. Les premières minutes sont primordiales : les participants (en particulier malintentionnés) mesurent rapidement la marge de manœuvre qui leur est laissée. Pour se donner toutes les chances, ce premier contact doit être sans faille sur la forme et le contenu :
- se présenter : préciser son rôle au sein de la démarche, et pour la réunion en cours. Chacun a en effet le droit légitime de savoir d’où il vient, quel est son rôle et pourquoi il est là ;
- présenter le cadre de la réunion et en être le garant (voir chapitre suivant) ;
- laisser un temps à la présentation mutuelle des participants sous forme d’un tour de table ou d’une autre forme de « brise-glace » en cas d’assemblée nombreuse.
L’animateur, initiateur et garant du cadre
En introduction, l’animateur présente le cadre de la réunion :
- son objectif, le déroulement prévu, l’ordre du jour. Il peut inviter les participants à compléter l’ordre du jour mais seulement si les nouveaux points s’inscrivent bien dans l’objectif de départ. Il propose une heure de fin de réunion et la fait valider ;
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les règles du jeu à suivre :
- le respect de l’objectif, ce qui suppose de limiter les digressions ;
- l’écoute et le partage de la parole ;
- la courtoisie mutuelle, la non agressivité (en particulier pour les réunions qui risquent d’être conflictuelles). Une fois édictées, l’animateur demande à ce que ces règles de bienséance soient validées. Il pourra les rappeler en cas de difficultés.
Il se présente comme le « maître du temps » responsable de sa gestion ; il compte sur la bonne volonté des participants pour lui faciliter la tâche.
Il présentera les principaux intervenants et en particulier le secrétaire de séance et les personnes chargées de l’apport des connaissances.
Il est garant du respect du cadre qu'il aura posé.
L’écoute active
Savoir écouter vraiment est indispensable à l'animateur du dialogue. L’écoute active passe par :
- la volonté d’accueillir la parole de l’autre, qui se traduit dans une posture attentive devant ce qui est exprimé ;
- une attitude empathique : pour comprendre l'interlocuteur, essayer de ressentir ce qu’il ressent lui-même ;
- des questions permettant d’enrichir le dialogue ;
- des efforts de reformulation de ce qui se dit : ils permettent de rester actif dans l’écoute, de s’assurer qu'on a bien compris tout en démontrant que l'on est attentif. L’écoute active est indispensable à la crédibilité et à la légitimité de l'animateur. Il peut appeler les autres participants à faire de même : écouter avant de parler, accueillir avant de transmettre. Cette dynamique positive et altruiste sera d’autant plus facilement adoptée que l’animateur en a donné l'exemple.
La posture de neutralité (ou de multi-partialité)
Un bon animateur recherche une posture de neutralité afin de pouvoir accueillir la parole de tous. Il doit éviter de prendre parti dans les discussions contradictoires, les avis opposés (sans renier ses intimes convictions). Certaines menaces peuvent affecter l'attitude de neutralité (Cf croquis).
Quelques outils
Le chargé de mission dispose d'un certain nombre d’outils lui permettant de nourrir le dialogue. Peuvent être rapidement opérationnels :
L’exemplarité
Repérer au sein du réseau national ou régional des ENP des expériences réussies, passer un peu de temps à bien les connaître, contacter leurs initiateurs (qui se feront un plaisir d’en parler) et les évoquer au niveau local dans la discussion : tout cela pourra inciter à une adaptation éventuelle sur le site.
Les relevés de décisions ou comptes-rendus de réunions
Le compte rendu est plus ambitieux, mais pas toujours plus pertinent, car plus long à la rédaction et à la lecture. Rédigé par le secrétaire de séance, il est transmis à l’ensemble des participants et des absents (excusés ou pas). Chaque texte doit être validé, soit collectivement, en début de réunion suivante, soit individuellement quand il est transmis par courrier électronique et non suivi d'une autre réunion.
Un appui externe en cas de blocage ou de conflits importants
Il arrive parfois que des difficultés importantes (souvent relationnelles) surgissent et pourrissent le dialogue. Le chargé de mission peut être directement impliqué dans ces difficultés. Le recours à un médiateur s'avère alors judicieux car, en plus de ses compétences relationnelles et techniques, il possède deux atouts majeurs :
- un regard extérieur dénué de tout intérêt personnel ;
- la possibilité de jouer le rôle de Candide (de poser toutes les questions) sans que cela engendre de conséquences pour lui… ou pour le territoire.